par Nicolas Bariteau | Déc 19, 2019 | Leadership digital
Bizarrement, Jeff Bezos est inconnu du grand public, alors même que chaque internaute est passé et passera un jour par la plateforme d’e-commerce qu’il a créée au milieu des années 1990, Amazon.com. Pour ceux qui connaissent son nom et son histoire, ou l’ont rencontré, les avis sont partagés entre son intelligence, sa persévérance ou sa capacité de résilience hors du commun que tout le monde reconnaît, et les dures conditions de travail qu’il impose à ses salariés. Sans parler des conditions faites aux fournisseurs de sa place de marché qui n’offrent aucune marge de manoeuvre.
Il suffit de voir le nombre d’articles paraissant chaque semaine dans le monde sur lui-même et ses entreprises, qu’il s’agisse du rachat du Washington Post, un des plus grand journaux quotidiens américain en 2013, ou de Blue Origin, une société de lanceurs spatiaux concurrents de SpaceX d’Elon Musk qu’il a créé en 2000, ou plus récemment de l’ampleur de sa fortune personnelle qui en fait l’homme le plus riche de la planète avec Bill Gates, pour saisir l’ampleur du phénomène. Quelle est donc sa méthode ? Comment aborde-t-il chacun de ses projets ?
Comme lors du premier article de cette série de portraits des leaders et influenceurs du monde numérique, en l’occurrence celui de Elon Musk, je vous propose de découvrir cette semaine Jeff Bezos. Mon but n’est pas de relayer ici une énième rumeur, ni de gloser sur ses échecs passés et futurs. Cet article a pour objectif de prendre du recul, j’espère même de la hauteur, afin de dresser une liste des points clefs permettant de comprendre l’approche de Jeff Bezos dans chacun de ses projets. J’ai volontairement ôté dans les principes énoncés tout élément spécifique à un domaine en particulier, afin de les rendre le plus universel possible et à même de s’appliquer à de nombreux secteurs, si tant est que cela soit possible ou souhaitable. Je les utilise uniquement pour illustrer chacun des points. Je le vois plutôt comme une source de réflexion et un guide permettant de redéfinir l’approche d’un sujet d’innovation ou de rupture.
Il existe des moments clefs dans l’existence où il faut organiser sa vie et ses choix de carrière dans un « cadre de regret minimum ».
La prise de risque est un des traits caractéristiques et redondants des entrepreneurs, d’autant plus lorsqu’ils sont visionnaires. C’est le cas de Jeff Bezos lorsqu’il décida de fonder Amazon.com sans quasiment aucune ressource et avec l’aide de ses parents. Amazon est une histoire familiale.
« Qu’est-ce que tu racontes ? Tu vas vendre des livres sur Internet ? »
Telles sont les paroles des parents de Jeff Bezos lorsqu’il leur annonça son choix de quitter un emploi confortable dans un hedge fund (Desco) à New York, acteur du développement des premiers algorithmes dans le monde de la finance. Et c’est ainsi que, plutôt que de poursuivre une carrière brillante chez Desco où il côtoyait plus des mathématiciens et des experts scientifiques que des financiers, il décida de prendre une autre voie pour ne rien regretter.
« Je savais alors que, lorsque j’aurais 80 ans, je ne me soucierais pas de savoir pourquoi j’avais dit adieu à mes bonus de Wall Street en 1994, au moment le moins opportun qui soit. »
Observer les choses de façon différente pour en améliorer la compréhension.
Jeff Bezos a fait sienne la maxime d’Alan Kay « un point de vue vaut 80 points de QI ». Il souligne par là l’importance de tirer des leçons de chaque rencontre et chaque circonstance. L’écoute est primordiale pour faire la différence dans vos projets, quand bien même les propos de votre interlocuteur seraient contraires à vos idées ou bousculeraient votre propre vision. Dans les premiers temps d’Amazon, Jeff Bezos fut confronté à un cadre d’une maison d’édition furieux que le site présente des critiques négatives des livres, rédigées par les lecteurs ou certains employés d’Amazon. Selon lui son métier était de vendre des livres et non de les critiquer. C’est là un point de vue qui permit à Bezos de comprendre la véritable nature de son business :
« Nous ne gagnons pas d’argent lorsque nous vendons des livres. Nous gagnons de l’argent lorsque nous aidons nos clients à prendre des décisions d’achat. »
Cette prise de conscience scelle toute la stratégie mise en place depuis lors, fournir la meilleure expérience client possible, au risque de ne pas être compris à court terme. Mais plus que cela, cette affirmation illustre un point central à mon sens pour mener à bien un projet de business : se détacher de l’approche produit (« mon entreprise conçoit telle produit ou propose tel service », ici « nous vendons des livres ») pour être capable de se définir par l’approche centrée sur le client (« mon entreprise aide telle type de personne à mieux… », ici « nous aidons nos clients à prendre des décisions d’achat. »). Ce changement de paradigme est essentiel dans un monde numérique.
Cette approche est au coeur de mon travail de consultant en transformation digitale et nourrit de nombreuses discussions avec mes clients chefs d’entreprises et cadres dirigeants. C’est un changement de perception et de vision parfois difficile à opérer car il remet en cause l’existant, et conduit à revoir l’ensemble de l’organisation et des process sous un nouveau jour. Mais c’est aussi l’occasion unique de fédérer tous les collaborateurs et d’envisager l’avenir plus sereinement en faisant adopter le projet d’entreprise par tous et à les associer à sa réussite.
Le long terme doit prévaloir sur tout le reste.
Lors d’un interview de Jeff Bezos pour la Harvard Business Review en 2013, le fondateur d’Amazon déclara : « if you’re long term oriented, customer interests and shareholder interests are aligned. In the short term, that’s not always correct. » Autrement dit :
« Si vous privilégiez le long terme, les intérêts des clients et des actionnaires s’alignent. Concernant le court terme, cela n’est souvent pas vrai ».
Il ne faut pas oublier qu’Amazon a créé l’e-commerce moderne et cette recherche d’innovation constante ne peut porter ses fruits que dans le temps long car, comme chacun le sait, l’innovation n’est pas une science exacte et les incidents de parcours sont nombreux pour aboutir à un résultat viable. L’innovation est faite de tâtonnements et de hasards qui génèrent des risques importants, ce que le marché déteste par-dessus tout dans sa course au profit à court terme.
Il n’est pas besoin d’être un acteur du CAC40 pour confondre vitesse et précipitation sous la contrainte du marché, ou négliger le respect du temps long. Cette nécessité temporelle s’impose à toutes les personnes et entreprises devant mettre sur le marché un produit ou un service, ou mener une transformation digitale à son terme. Je suis de mon côté souvent confronté à des clients qui ont tendance à vouloir griller les étapes, sous prétexte d’être « agile ». Ce terme revient bien souvent dans leurs briefs mais, comme le dit le dicton, « Rome ne s’est pas faite en un jour ». La vision doit être à long terme et l’exécution à court terme, à condition d’être structurée pour la mener à bien.
Ne pas limiter son horizon
Très vite, Jeff Bezos sut que la création d’Amazon.com ne visait pas à se cantonner à vendre des livres. C’est tout un secteur d’activité qu’il envisageait de créer grâce à une plateforme commerciale numérique universelle destinée à présenter et vendre tout ce qui existe. Amazon tire d’ailleurs son nom du fleuve sud-américain, le plus grand de tous, comme l’entreprise qui a vocation à être la plus grande plateforme commerciale au monde. À tel point qu’aujourd’hui Amazon vend plus de non-alimentaire en France que Carrefour et Leclerc.
En effet, Amazon n’est pas un acteur de l’e-commerce, c’est une plateforme numérique commerciale. Comme Google est une plateforme numérique d’information, Microsoft une plateforme numérique de productivité, Apple une plateforme numérique personnelle. Jeff Bezos a très vite compris qu’en atteignant une certaine taille critique, c’est l’ensemble du commerce, on et offline, qui serait le terrain de jeu d’Amazon. Grâce à la puissance et l’efficacité de sa chaîne logistique intégrée et de ses services dans le cloud (Amazon Web Service), bien souvent utilisés par ses concurrents, l’entreprise est capable de fournir un service vertical « liquide » sans aspérité dans le passage du magasin physique au magasin en ligne.
Il ne restait plus à Jeff Bezos qu’à déployer Amazon dans le monde physique. Il a à la fois racheté certains acteurs, le dernier en date étant la chaîne de supermarchés bio Whole Foods Market, mais il déploie aussi actuellement certains points de vente comme Amazon Go, un magasin connecté sans caisse, ou l’ouverture de librairies physiques, les Amazon Books, après en avoir fait fermé plus d’une. C’est une stratégie classique de désintermédiation / réintermédiation mais double puisqu’elle a lieu à la fois online et offline.
Ne pas avoir peur d’être incompris
Mener une stratégie à long terme amène à faire des choix difficilement compréhensibles car incompatibles avec la vision financière de la majeur partie des entreprises. La vision centrée sur le client est un acte de foi qui va à l’encontre des résultats financiers à court terme. Mais peu rapporter gros à plus long terme.
Satisfaire l’expérience client au détriment des bénéfices fut longtemps incompris. Lorsque Amazon lança la place de marché Amazon Market Place face à son propre site e-commerce, de nombreux analystes ont critiqué ce qui leur a semblé être un acte de cannibalisation de ses propres revenus. De même que le lancement du Kindle et le développement de la vente des e-books ont été perçus comme incompréhensibles face au produit phare qu’est le livre imprimé au coeur du business d’Amazon. Pourquoi Amazon se tire-t-il une balle dans le pied, pouvait-on lire ?
Si Amazon est devenu le leaders du e-commerce du monde occidental, pourquoi ne profite-t-il pas de sa position dominante pour augmenter les prix et générer un chiffre d’affaire plus important ? Encore et toujours la même réponse : la satisfaction client. Plus qu’une déclaration, c’est le critère d’évaluation et de pilotage de la stratégie de l’entreprise.
Savoir prendre des risques et apprendre de ses erreurs
Le terme intrépide revient très fréquemment dans le vocabulaire de Jeff Bezos. Cette intrépidité s’illustre déjà dans sa stratégie à long terme et s’appuie sur sa capacité à ne pas chercher à être compris. Jeff Bezos est entièrement concentré sur son objectif et a fait sienne la culture du Test and Learn difficile à accepter pour notre culture française de gestionnaire du risque maximale, quitte à devenir attentiste et immobile.
Lors de sa première lettre aux actionnaires d’Amazon en 1998, il déclara :
« Nous allons prendre des décisions non pas timides mais intrépides en matière d’investissement. Nous voulons augmenter les probabilités de gagner des positions clés sur notre marché. Certains de ces investissements seront rentables, d’autres non. Quoi qu’il en soit, nous aurons appris des leçons précieuses à chaque fois. »
Cette approche du business est aussi ce qui différencie Amazon de l’Apple aujourd’hui et du Microsoft des années 1990 et 2000. Du temps de Steve Jobs et de sa formule devenue célèbre, Think Different, l’intrépidité était de mise, de même que chez Microsoft du temps de Bill Gates, et de nouveau avec Satya Nadella, son nouveau PDG. Cette intrépidité est à la fois une question de caractère et le trait caractéristique des entreprises innovantes.
Satisfaire les clients avant tout
L’expérience client la plus aboutie possible est le résultat de nombreuses années d’observations et d’analyses qui ne trouvent leur confirmation que dans le temps et les effets d’échelle. Plus le temps passe, plus l’analyse du comportement client s’affine et plus les recommandations s’affinent. Ce qui augmente d’autant sa notoriété, et attire de nouveaux clients. Nouveaux clients qui à leur tour optimisent les recommandations de la plate-forme et affinent la connaissance client. Les algorithmes à l’origine des recommandations de produits sont d’autant plus précis qu’ils brassent des données nombreuses.
Il s’agit d’un cercle vertueux. Le cycle commence par une expérience client particulièrement agréable, qui conduit à un grand volume de trafic. Les clients satisfaits attirent alors encore plus de clients, principalement par le bouche à oreille. Cette croissance constante de clients attire d’autant plus de fournisseurs via Amazon ou sa place de marché, ce qui augmente d’autant plus l’offre disponible et attire toujours plus de clients par un choix accru. Sans cette vision à long terme, Amazon Market Place, Amazon Web Services, ou Amazon Prime, n’auraient pu voir le jour.
Afin de satisfaire l’attente du client par la proposition de services inégalés et la recherche des prix les plus attractifs, Amazon a déployé une stratégie commerciale de la terre brulée. Pour imposer des conditions commerciales aussi strictes et défavorables aux fournisseurs, Amazon a d’abord dû atteindre une taille critique pour imposer ses règles. Plus le service s’améliore, plus Amazon gagne de clients. Plus les clients sont nombreux, plus Amazon peut dicter les règles à ses fournisseurs. Jusqu’à représenter 30% du chiffre d’affaire mondial pour certains d’entre eux comme Hachette Livre.
En résumé
- Jeff Bezos a construit sa stratégie à long terme sur la satisfaction client, quitte à ne pas suivre les règles du marché et à ne pas être compris,
- Il a créé un standard de satisfaction et de service client que ses concurrents peuvent difficilement copier, grâce à sa stratégie à long terme qui lui a permis de collecter des données massives (Big Data) traitées par des algorithmes complexes sur les comportements d’achats des internautes pendant des décennies,
- Il fixe lui-même les règles du jeu grâce à un cercle vertueux pour lui qui devient une dépendance et se renforcent pour ses fournisseurs au fur et à mesure que ses parts de marché augmentent,
- Il renforce ses parts de marchés en intégrant on et off-line et il crée des synergies d’affaires grâce à son activité de logistique pour la distribution et la livraison des produits qu’il vend,
- Il n’exclut aucun secteur d’activité, de l’alimentation au prêt-à-porter et jusqu’au monde du luxe en s’appuyant sur ses points forts (chaine logistique, infrastructure numérique, base de clientèle, etc.),
- Son agilité lui permet de jouer avec les règlementations internationales qui deviennent pour des concurrents nationaux des freins plus que des avantages.
par Nicolas Bariteau | Sep 28, 2017 | Leadership digital
Pourquoi les dirigeants ont-ils tant de mal à donner un cap clair lorsque vient le temps des changements stratégiques ? Les dirigeants jouent pourtant un rôle essentiel pour rassurer leurs collaborateurs face aux bouleversements et leur donner du sens, voire les justifier. C’est l’essence même du leadership. Après plusieurs années d’accompagnement des entreprises dans leur digitalisation, j’ai pu constater l’importance de trois signaux clefs qui conduisent soit à une plus grande clarté, lorsqu’ils sont respectés, soit à la confusion et au doute sur la nécessité du changement ou la méthode employée dans le cas contraire, ce qui provoque une crise de leadership.
Signal n°1 : Expliquer à vos collaborateurs ce qui doit être fait et pourquoi plutôt que ce que vous voulez.
De trop nombreux professionnels regrettent l’absence de clarté de leurs dirigeants lors de changements stratégiques majeurs. Vous pourriez penser qu’il est simple de définir avec clarté les objectifs et les nécessités de la transformation, pourtant les faits apportent bien souvent la preuve du contraire.
De nombreux dirigeants réduisent leur leadership à l’expression de leur volonté plutôt qu’à l’explication des chantiers à ouvrir et à celle des finalités. Un dirigeant doit avant tout se demander ce qui est bon pour l’entreprise et ce qui doit être fait, quels sont les objectifs, avant de dire ce qu’il veut. Ils négligent bien souvent d’expliquer l’ampleur du changement demandé et préfèrent axer leurs discours sur les processus. Pour inciter les collaborateurs à l’action il faut se concentrer sur le pourquoi comme Simon Sinek l’explique dans son livre « Commencer par le pourquoi. Comment les grands leaders nous inspirent à passer à l’action ». Diriger consiste à avoir constamment le « pourquoi » à l’esprit et à le partager avec ceux qui seront chargés de le mettre en œuvre afin de limiter les risques d’un non alignement entre la stratégie et l’opérationnel.
Pourquoi ce signal est-il souvent trop faible ?
Bien souvent, une culture d’entreprise et un management trop vertical conduisent de nombreux managers à donner la priorité à la satisfaction de la volonté du dirigeant. Volonté qui doit se traduire en un plan d’action rapide, plutôt que de prendre en compte l’ampleur du sujet dans sa complexité avant de planifier quoi que ce soit, ce qui s’avère plus long.
Bien souvent, comme le souligne Elsbeth Johnson, Professeur adjoint du département Organisational Behavior à la London Business School, dans la Harvard Business Review en janvier 2017, quatre questions essentielles sont souvent survolées malgré leur importance :
1. Est-il indispensable de changer, et pourquoi maintenant ? Quels impératifs conduisent à une telle décision ? Pourquoi l’ancienne stratégie n’est-elle plus valable ? À quoi faudra-t-il renoncer ?
2. Quelle est l’ampleur du changement nécessaire ? Il est primordial de ne pas la sous-estimer car cela reviendrait à le réduire à une évolution incrémentale et à en minimiser la portée, ce qui pourrait nuire à la mobilisation des ressources et à le reléguer à un sujet non prioritaire.
3. Comment pourrons-nous évaluer l’atteinte des objectifs fixés ?
4. Quels sont les liens unissant la nouvelle stratégie et les précédentes ? Répondre à cette question, c’est s’assurer de limiter la confusion ou l’incompréhension que des revirements stratégiques trop nombreux ont pu causer par le passé et causeront à nouveau. Un dirigeant qui ne serait pas capable d’expliquer clairement ces liens ténus doit réenvisager leur nécessité (questions 1 à 3) ou réenvisager la nouvelle stratégie.
Si vous êtes capable de répondre à ces quatre questions, ce premier signal passe au vert et place votre nouvelle stratégie sur les bons rails.
Signal n°2 : Incarner le changement que vous défendez.
Incarner ce changement ne consiste pas à attendre de vos collaborateurs qu’ils se plient à votre volonté et qu’ils le mettent en œuvre. Il s’agit avant tout de se rendre disponible et d’être capable de prendre des décisions permettant au changement de se faire. De nombreux dirigeants, tout aussi convaincus soient-ils de la nouvelle stratégie, confient le projet de transformation à un tiers de confiance. C’est là une erreur, car le signal que le dirigeant envoie est celui d’un projet mineur, puisqu’il ne requiert pas toute son attention et son énergie, et il en sera de même pour ceux qui doivent le mener à bien. Le dirigeant et le comité de direction ou le comité exécutif doivent se réunir régulièrement pour suivre les avancés de la transformation, mais aussi se rendre disponibles pour arbitrer et résoudre les conflits ou bloquages qui ne manqueront pas de se poser.
Pourquoi ce signal est-il souvent négligé ?
Deux raisons essentiellement :
1. Les dirigeants doivent changer leurs priorités et rompre avec leur organisation habituelle. Ils doivent être plus réactif et plus opérationnel sans perdre de vue la globalité du projet et garder le cap stratégique fixé clairement aux yeux de tous au sein de l’entreprise (signal n°1). Chaque décision liée à la conduite du changement envers une personne ou un département jusque là préservé peut venir rompre les équilibres internes à l’organisation et remettre en cause son fonctionnement. Un leadership non assumé ou trop flou à ce moment là peut s’avérer désastreux.
2. Incarner le changement est un travail à plein temps qui ne s’accommode pas d’une posture artificielle, très facile à détecter au moment même où les regards de toute l’entreprise sont braqués sur le dirigeant et scrutent le moindre doute ou l’incapacité à prendre une décision en phase avec la stratégie énoncée. Tout pivot ou réorientation stratégique, ce qui est toujours possible et relativement fréquent, doit pouvoir être défendu et énoncé clairement sans que cela puisse être interprété comme une erreur de vision ou un défaut de pilotage du projet.
Signal n°3 : Consacrer des ressources suffisantes et adaptées à la transformation digitale dans toutes ses dimensions, et mesurer l’atteinte des objectifs fixés.
Afin d’envoyer un signal fort et clair du changement à venir, les dirigeants doivent allouer les ressources humaines, financières et culturelles suffisantes pour signifier l’ampleur de la transformation. Ils doivent veiller notamment à ce qu’elle soit menée par les bonnes personnes, avec un niveau de séniorité suffisant et une expérience significative dans leur domaine pour faciliter la conduite du changement. Le management joue lui aussi un rôle déterminant par sa capacité à accompagner les collaborateurs dans une mutation qui n’est pas seulement stratégique ou financière mais surtout humaine et culturelle. Certaines personnes jouent un rôle essentiel : les intégrateurs, autrement dit celles et ceux qui ont, à l’intérieur de l’entreprise, l’intérêt et le pouvoir à mettre en œuvre la transformation digitale. Ils favoriseront notamment la collaboration et la coopération entre les différentes directions et services, ce qui constitue un changement culturel majeur dont il faut évaluer l’impact sur les résultats. Si vous axez trop fortement vos actions sur des critères structurels, réorganisation et process, sans suffisamment prendre en compte la dimension identitaire et culturelle, vous risquez de fortement mettre en péril la réussite de votre nouvelle stratégie.
Cela signifie aussi qu’il ne faut pas s‘appuyer sur les anciennes métriques et indicateurs clefs de performance (KPI’s) mais déterminer celles et ceux qui correspondent aux nouvelles priorités. Les dirigeants doivent donc veiller à définir le plus en amont possible ces nouveaux indicateurs et à s’assurer que toutes les parties prenantes chargées de l’évaluation et la mesure de la performance les utilisent le plus tôt possible.
Pourquoi ce signal est-il souvent insuffisamment défini ?
Soyons clair, ce n’est pas la partie la plus valorisante et la plus inspiratrice pour un dirigeant. Elle le positionne dans un rôle plus opérationnel que stratégique et l’éloigne de la conception d’un leadership fondé sur la vision. La transformation digitale est un sujet de long terme en phase avec l’expression d’une vision que la question de l’allocation des ressources remet en perspective sur le court terme. Les deux peuvent paraître antinomiques à bien des dirigeants qui ont tendance à se désaisir du second au profit du premier. La mesure est le liant, pour reprendre un terme pictural, qui permet de garantir l’intégrité et l’homogénéité du structurel, l’organisation et les process, avec son expression, l’humain et les résultats.
Leadership, l’importance de donner du sens.
Ces signaux doivent guider les dirigeants car ils sont importants pour l’entreprise. Les collaborateurs et parties prenantes de l’entreprise ont besoin de signaux clairs et forts pour les aider à donner du sens à leurs actions. En tant que leader, vous détenez un pouvoir décisif, celui de les guider et les rassurer ou de les laisser en proie au doute ou à une perte de sens au motif qu’ils doivent accomplir votre vision et non la comprendre. Une entreprise évolue forcément pour s’adapter aux évolutions de son écosystème et des problématiques de ses clients, mais comprendre la nécessité d’un changement et l’accepter sont deux choses très différentes. Le seul moyen d’y parvenir est de définir clairement ses finalités et ses modalités pour lui donner du sens.
par Nicolas Bariteau | Mai 1, 2017 | Leadership digital
Cet article est le premier d’une série consacrée aux entrepreneurs et dirigeants qui, par leur leadership, modèlent leur entreprise autour de leur vision stratégique originale et nous amènent à repenser nos propres modèles d’innovation, d’organisation, de management et de création de valeur en vue de sa transformation digitale. Nous vous proposons donc d’inaugurer cette rubrique avec le plus emblématique et médiatique des entrepreneurs actuels, Elon Musk.
Elon Musk attire, intrigue, déplaît, effraie parfois. Mais ses défis ne laissent personne indifférent. Il suffit de voir le nombre d’articles paraissant chaque semaine dans le monde sur lui-même et ses entreprises pour saisir l’ampleur du phénomène. Quelle est donc sa méthode ? Comment aborde-t-il chacun de ses projets ? Mon but n’est pas de relayer ici une énième rumeur, ni de gloser sur ses échecs passés et futurs. Cet article a pour objectif de prendre du recul, j’espère même de la hauteur, afin de dresser une liste des points clefs permettant de comprendre l’approche innovante d’Elon Musk dans chacun de ses projets. J’ai volontairement ôté dans les principes énoncés tout élément spécifique aux domaines aéronautiques, automobiles, des transports et de l’énergie chers à Elon Musk, avec SpaceX, Tesla, Hyperloop, SolarCity, afin de les rendre le plus universel possible et à même de s’appliquer à de nombreux secteurs, si tant que cela soit possible ou souhaitable. Je les utilise uniquement pour illustrer chacun des points. Je le vois plutôt comme une source de réflexion et un guide permettant de redéfinir l’approche d’un sujet d’innovation ou de rupture.
Les 12 principes de la méthode Elon Musk
– Une stratégie de montée en puissance définie dès le début du projet. Le court terme est banni au profit du long terme.
– Une logique commerciale inversée. Un produit initial de rupture symboliquement fort dans un marché de niche afin de marquer les esprits et asseoir la notoriété, puis des produits de masse pour s’imposer sur des marchés importants en améliorant les innovations du produit de rupture originel tout en réduisant son coût. Qui peut le plus peut le moins. A titre d’exemples, le Roadster de luxe Tesla a favorisé le lancement du modèle 3 au prix d’une berline standard, tout comme la fusée Falcon 1 a permis l’ouverture du marché mondial à la Falcon 9.
– Une intégration verticale maximale de la R&D à la conception et la production pour réduire les coûts, maîtriser les risques et minimiser la dépendance à des fournisseurs tiers.
– Des cycles le plus court possible entre l’idée innovante, son prototypage, et le test afin de dépasser le moins possible des délais irréalistes. Au risque d’annoncer des délais irréalistes et de sous-estimer les difficultés inhérentes à tout projet complexe de rupture dans un marché. Cette méthode s’applique jusqu’à la gestion en temps réel des données et la capacité à gérer des dysfonctionnements en un temps record.
– Le recours à des technologies grand public disponibles aisémentpour réduire encore plus les coûts et compresser les délais. Une technologie innovante est rare, chère et longue à concevoir mais plus performante que celles disponibles pour le grand public. Tout l’enjeu repose donc sur leur optimisation, et donc le point suivant.
– Une stratégie d’optimisation des technologies et de tout élément relatif au projet (process, workflow, fabrication, pilotage) au-delà des standards.
– La responsabilisation et l’autonomisation des collaborateurs, fruit d’un recrutement sélectif, permet de s’adapter plus rapidement et de gagner en réactivité.
– Une analyse très fine des limites des acteurs en place, de leur méconnaissance du digital, et de leur capacité à se transformer et revoir leur modèle économique.
– Une implication forte à chaque étape d’un projet, à commencer par la pleine compréhension théorique et technique du sujet.
– Une implication qui peut aller jusqu’au management direct avec le moins de hiérarchie possible lorsque cela permet de gagner en efficacité. Elon Musk est ainsi allé jusqu’à envoyer en mai 2010 un e-mail sur l’abus des sigles au sein de la communication de SpaceX : “Pris isolément, quelques acronymes ici ou là peuvent sembler inoffensifs, mais si mille personnes se mettent à en inventer, nous devrons à la longue constituer un énorme glossaire pour les nouveaux salariés. (…) Le critère, pour un sigle, est de se demander s’il facilite ou complique la communication.”
– Une capacité à prendre des décisions rapides, sans jamais perdre de vue l’objectif à long terme, et ce malgré l’urgence et l’enjeu à court terme de certaines d’entre elles.
– Et une bonne dose de “champ de distorsion de la réalité”, propre à SteveJobs, nécessaire à la fois pour rendre l’impossible concevable, supporter la pression, miser toute sa fortune, et amener les collaborateurs à accepter l’inacceptable.
La théorie du champ unifié d’Elon Musk
Il est important de comprendre une chose essentielle lorsqu’on se penche sur la personnalité d’Elon Musk : toutes ses initiatives représentent moins des opportunités commerciales qu’une vision du monde.
Tout comme Steve Jobs, auquel on le compare souvent, à tort ou à raison, Elon Musk veut plier le monde à sa propre perception et l’emmener là où il le souhaite. Mais il n’est pas un marchand de rêve utopique ou distopique, il est d’abord et avant tout rationnel dans ses choix comme dans ses rêves. Il a donc conçu un écosystème entreprenarial interconnecté à court et long termes que l’on regroupe sous l’idée de “théorie du champ unifié” où chaque élément contribue à la prise de valeur de l’autre et de l’ensemble. Pour citer l’auteur de la biographie d’Elon Musk, Ashlee Vance :
Tesla fabrique des batteries que SolarCity peut vendre à ses clients. SolarCity fournit les panneaux solaires des stations de recharge où les conducteurs de Tesla peuvent s’approvisionner gratuitement. […] Tesla et SpaceX s’aident aussi mutuellement. Ils échangent des connaissances sur les matériaux, les techniques de fabrication et les arcanes du fonctionnement d’usines construites à partir de zéro. […] La Gigafactory devrait lui permettre de satisfaire la demande de batteries due à ses automobiles et aux unités de stockage vendues par SolarCity.
C’est là un point capital, une approche systémique permettant de :
- mutualiser les ressources,
- réduire les délais,
- optimiser les coûts,
- rentabiliser les technologies mises au point d’une entreprise à l’autre,
- améliorer sans cesse les produits tout en réduisant leur coût
- gagner des parts de marché grâce à des innovations rapides et meilleures marché que les concurrents
- fidéliser en améliorant sans cesse la qualité du produit (la proposition de valeur) sans faire payer le client.
En résumé, Elon Musk crée la demande par des innovations de rupture, fixe lui-même les nouvelles règles du jeu pour asseoir un nouveau standard industriel, et son agilité lui permet de contourner les règlementations qui deviennent pour des concurrents des freins plus que des avantages.
Cet article fut initialement publié sur mon blog www.nicolasbariteau.com
par Nicolas Bariteau | Mar 22, 2017 | Leadership digital, Productivité
Les chefs d’entreprises confondent souvent efficacité et productivité. Pourtant ces deux concepts sont très différents, et il convient de bien les distinguer, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’élaborer et conduire une stratégie. Les dirigeants sont focalisés sur la croissance de leur entreprise. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’adopter une approche orientée vers la productivité en aplanissant les obstacles internes, ce qui ne va pas de soi après plusieurs décennies de management centré sur l’efficacité.
Efficacité ou productivité ?
L’efficacité dans le travail se définit comme le nombre d’heures de travail nécessaires pour accomplir une tâche donnée par rapport aux standards de secteur. On évalue généralement l’efficacité en comparant le nombre d’heures effectives actuelles avec celui habituellement requis pour effectuer la même tâche. L’efficacité consiste à faire une chose précise en optimisant sa production par la réduction du temps passé à l’effectuer. Les entreprises cherchent ainsi à améliorer l’efficacité en réduisant le nombre d’heures, autrement dit, en réduisant les coûts afin d’augmenter la profitabilité. Cela peut passer par la réduction du temps de travail et l’optimisation de la gestion des effectifs.
Au premier regard, la définition de la productivité pourrait sembler assez similaire. La productivité dans le travail peut être définie comme la proportion de biens et de services produits en un temps donné. On mesure généralement la productivité en comparant la quantité de biens et de services produits avec les conditions ayant permis de les produire. La productivité consiste à faire plus de choses dans des conditions identiques. Les entreprises cherchent par ce moyen à augmenter la productivité à périmètre constant en terme d’effectifs.
Les dirigeants doivent adopter une vision différente de la performance au travail
Depuis plus de trente ans, les entreprises ont cherché à construire leur business avec une approche centrée sur l’efficacité. De nombreuses méthodes et outils ont été élaborés, Six Sigma par exemple, afin de les aider à réduire le gaspillage de temps ou de matériel pour effectuer une tâche ou concevoir un produit. En l’absence de croissance, les gains d’efficacité se font sur le dos des effectifs et se concrétisent sous le forme de résultats nets pour le marché. Un quête d’efficacité atteint donc vite ses limites du point de vu humain, à moins qu’une technologie ne le permette, soit en l’assistant, soit en le remplaçant.
Mais l’environnement concurrentiel n’est plus le même depuis l’arrivée de la déferlante numérique dans les années 90. Les bénéfices de l’amélioration de l’efficacité ont désormais atteint leur limite, et les chefs d’entreprises doivent adopter une vision différente. Sans une croissance suffisante, la stratégie consistant à vouloir augmenter les profits par l’amélioration de l’efficacité a conduit à vider l’entreprise de toute substance.
Si l’efficacité n’est plus l’ingrédient secret de la performance de l’entreprise, qu’en est-il de la productivité ? Bain & Company a récemment réalisé une étude sur la productivité et la performance des salariés en collaboration avec la Economist Intelligence Unit. À cette occasion ils ont interrogé plus de 300 dirigeants de grandes entreprises à travers le monde, et ils ont ensuite croisé leurs résultats avec plus d’une vingtaine d’audits organisationnels approfondis afin d’identifier les méthodes permettant d’améliorer la productivité des équipes et accélérer la croissance de l’entreprise. Cette étude a permis d’identifier 3 principes fondamentaux dans l’approche de la productivité.
Les 3 principes fondamentaux de la productivité
– La majorité des employés veulent être productifs mais l’organisation les en empêche. L’étude met en avant que les entreprises perdent plus de 20% de leur capacités de production, soit un jour chaque semaine, à cause de processus, de techniques de management et de modes d’organisations qui gaspillent le temps et empêche les gens de faire ce qu’ils ont à faire et d’aller jusqu’au bout de leurs taches dans un temps raisonnable. Le phénomène trop célèbre de la réunionnite aiguë, la mauvaise utilisation de l’e-mail et l’absence de processus collaboratifs établis en font partis. Il faut donc réduire cette déperdition. Pour cela, il faut simplifier la structure organisationnelle et aligner le mode de fonctionnement avec les réelles sources de valeur au coeur de l’entreprise. Il faut aussi combattre la bureaucratie et trouver des modalités de travail qui permettent aux employés de focaliser leur temps de travail sur la réalisation de leurs taches et l’atteinte de leurs objectifs.
– L’entreprise a des collaborateurs talentueux qui pourraient avoir un impact significatif sur la performance et l’exécution de la stratégie, mais ils sont trop souvent réduits à un rôle qui limite leur efficacité. L’étude a relevé que la plupart des entreprises interrogées investissent massivement dans la recherche de talents, jusqu’à la surenchère, mais ne savent pas en tirer profit. Ces talents peuvent représenter jusqu’à 50% des effectifs que l’entreprise soit leader ou non de son marché. Il convient donc de placer ces profils à des postes clefs afin d’avoir d’obtenir de meilleurs résultats, et mettre en oeuvre plus efficacement et rapidement la stratégie de l’entreprise.
– Certains collaborateurs débordent d’énergie et d’idées qu’ils pourraient consacrer à leur travail, mais ils ne sont bien souvent pas encouragés à le faire. Théoriquement, chaque employé peut améliorer son travail, mais la majorité d’entre eux ne font pas appel à leur ingéniosité ni leur créativité autant qu’ils le pourraient faute d’encouragements, de soutiens, ou d’incitation à le faire de la part de leur manager. L’étude met en avant que les collaborateurs satisfaits de leur conditions de travail sont 125% plus productifs que les autres. Dit autrement, un collaborateur peut produire 2,25 fois plus s’il évolue dans un contexte favorable pour effectuer son travail. Il faut donc aligner les objectifs de l’entreprise avec ceux des employés, ce qui amène bien souvent à redéfinir la culture de l’entreprise, à adopter des modalités de travail plus collaboratives, à développer l’autonomie et la responsabilisation de chacun. Même si un certain nombre d’employés ne souhaite pas ces changements, ce qui est humain, cette approche peut toutefois les conduire à se remotiver grâce à la dynamique créée au sein de l’entreprise, et à améliorer leur productivité de facto.
Comment adopter un leadership orienté vers la productivité
Ces principes demandent aux dirigeants de redéfinir leur leadership et ont d’importantes conséquences sur leur approche du management, du recrutement et du cadre de travail. Le changement de leur état d’esprit, plus orienté vers la productivité, peut s’avérer difficile pour certains mais le jeu en vaut la chandelle. L’étude suggère que les entreprises les plus performantes sont 40% plus productives que les autres. Et cet écart se traduit par des profits plus importants, jusqu’à 30% de marges opérationnelles et 50% de profits que les concurrents, avec une croissance plus rapide.
Les dirigeants qui adoptent une approche orientée vers la productivité doivent donc :
– Réduire significativement la déperdition liée à la structure organisationnelle.
– S’assurer que les talents sont à des postes clefs permettant d’avoir le plus d’impact sur la croissance de l’entreprise.
– Mettre tout en oeuvre pour tirer parti de la motivation des employés et de leur capacité à être source de proposition en collaboration avec les ressources humaines et le management.
Dans la prochaine décennie, il sera déterminant que les les dirigeants changent leur état d’esprit. Au lieu de se concentrer continuellement sur les gains d’efficacités, en réduisant les effectifs et en optimisant le temps de travail, ils devront incarner la nouvelle dynamique de l’entreprise pour redonner confiance et motiver les équipes. Il leur faudra écarter systématiquement les obstacles à la productivité, identifier les moyens d’améliorer les conditions et le contexte de travail, adopter une stratégie de recrutement et de management qui améliorera les performances de l’entreprise.
par Nicolas Bariteau | Mar 18, 2017 | Leadership digital
L’expérience client est au coeur des discussions depuis plusieurs années : presse professionnelle, salons, conférences, séminaires, pas un instant ne passe sans que le sujet ne soit mis sur la table. Mais la réalité est souvent plus cruelle lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet au sein de l’entreprise, entre voeux pieux et déclarations d’intentions non suivies de fait. Il faut dire que le sujet est vaste, et que potentiellement chaque collaborateur est amené à jouer un rôle dans la définition de l’expérience client. Parmi toutes ces personnes, une est pourtant déterminante : le chef d’entreprise, au sommet de l’organisation.
Le dirigeant doit incarner l’enjeu de l’expérience client.
De nombreux dirigeants reportent malheureusement sur leurs collaborateurs la responsabilité du sujet et préfèrent se concentrer sur la croissance et la rentabilité, privilégiant la sphère financière à celle de la relation client. Ce type de stratégie finit pourtant pas nuire aux uns comme aux autres. Ce phénomène est a priori plus fréquent à la tête des grands groupes qu’à celle des TPE-PME par une plus grande distance avec le terrain. Pourtant la réalité est plus nuancée qu’il n’y paraît. Le dirigeant d’une petite ou moyenne entreprise est aussi au contact direct des commerciaux et du marketing et voit combien la croissance est une bataille de chaque instant. C’est souvent l’urgence qui dicte les choix, « business first« , comme on dit.
Jeff Bezos, par exemple, est à la tête d’Amazon, une des plus grandes entreprises mondiales. On pourrait penser qu’il fait parti de cette catégorie de dirigeants qui ne regarde d’abord et avant tout que les chiffres, poussés par ses actionnaires avides de dividendes. Pourtant, la priorité fondamentale au coeur de la stratégie de croissance de l’entreprise est l’expérience client de puis le début. Lors des réunions, une chaise vide symbolise ce client qui doit être présent autour de la table et structurer toutes les propositions ou innovations. L’objectif étant bien entendu la croissance du chiffre d’affaire. Jeff Bezos joue un rôle déterminant par son leadership et sa capacité à prendre des risques, à investir fortement dans le seul but d’améliorer l’expérience client, jusqu’à en devenir le symbole même auprès des consommateurs comme de ses concurrents. Quitte à contrarier les actionnaires. Son approche de l’expérience client est stratégique et non tactique. L’expérience client est un enjeu de long terme.
Jamie Dimon, CEO de Morgan Chase, va même plus loin et affirme que les entreprises ne devraient même pas communiquer leurs résultats trimestriels pour ne pas tuer la dynamique à plus long terme. La pression ne devrait pas venir de l’extérieur, les marchés, mais de l’interne avec la mobilisation de l’ensemble des équipes, et jusqu’aux clients eux-même. Starbucks l’a très bien compris en créant une plateforme communautaire dès 2007, My Starbucks Idea, destinée à recueillir les idées des clients concernant tout ce qui a trait l’entreprise, du café à l’ambiance des magasins, en passant par le merchandising, l’innovation, les moyens de paiements, l’engagement sociétal de l’entreprise. Chaque membre de la communauté peut proposer ses idées mais aussi voter pour ou contre celle des autres. Chaque heure de chaque jour de l’année, 3 à 5 idées sont mises en lignes. Les propositions autour du café dépassent les 45000 idées. Bien entendu, en championne de l’expérience client, la marque analyse les propositions ayant reçu le plus de votes favorables et informe la communauté des suites qu’il leur donne via 4 statuts : en attente d’étude, en cours, proposition acceptée, proposition déployée. Le retour de la marque est déterminant pour parachever cette collaboration.
La satisfaction client doit primer sur les objectifs à court terme
Dans ce cas là, pourquoi n’y-a-t’il pas plus de dirigeants orientés expérience client ? Comme nous l’avons dit plus haut, parce qu’une majorité d’entre eux ont leurs yeux rivés sur les chiffres. Plus l’entreprise croit, plus le signal diffusé est celui d’un dirigeant performant. Mais le client s’en fiche. Il attend des entreprises dont il consomme les produits ou utilise les services qu’elles répondent à son besoin, l’écoute et réponde à ses problématiques. Pour le client, l’indice de satisfaction prime sur le prix, il devrait en être de même pour l’entreprise car la satisfaction client favorise la croissance.
Comme dans toute relation, si vous ne dépensez pas suffisamment de temps et d’argent à la nourrir et la développer, elle ne durera pas. Il en est de même pour les clients. Si vous ne cherchez pas à investir du temps et de l’argent à améliorer la manière dont ils interagissent avec votre marque, ils iront le faire ailleurs. Il n’est pas question ici uniquement de stratégie de fidélisation souvent très coûteuse pour un résultat plus que relatif. Comme l’a démontré Byron Sharp dans son livre « How Brands Growth », le taux de fidélisation est sensiblement le même sur un marché, que vous soyez leader, outsider ou dernier. Seule l’augmentation des parts de marché permet d’améliorer la croissance et l’expérience client est son ingrédient secret.
Les chefs d’entreprise et organes de gouvernance ont donc un rôle primordial à jouer s’ils acceptent de changer leur approche et de l’orienter vers les clients. Les responsables opérationnels doivent de leur côté comprendre l’importance de l’expérience client et sauter à pieds joints en consacrant le temps et les ressources que cela nécessite. Le dirigeant en devenant moteur de la transformation de l’entreprise par la réorientation stratégique vers la satisfaction client permet de développer une culture forte qui se diffusera dans toute l’organisation.