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Cet article est le premier d’une série consacrée aux entrepreneurs et dirigeants qui, par leur leadership, modèlent leur entreprise autour de leur vision stratégique originale et nous amènent à repenser nos propres modèles d’innovation, d’organisation, de management et de création de valeur en vue de sa transformation digitale. Nous vous proposons donc d’inaugurer cette rubrique avec le plus emblématique et médiatique des entrepreneurs actuels, Elon Musk.

Elon Musk attire, intrigue, déplaît, effraie parfois. Mais ses défis ne laissent personne indifférent. Il suffit de voir le nombre d’articles paraissant chaque semaine dans le monde sur lui-même et ses entreprises pour saisir l’ampleur du phénomène. Quelle est donc sa méthode ? Comment aborde-t-il chacun de ses projets ? Mon but n’est pas de relayer ici une énième rumeur, ni de gloser sur ses échecs passés et futurs. Cet article a pour objectif de prendre du recul, j’espère même de la hauteur, afin de dresser une liste des points clefs permettant de comprendre l’approche innovante d’Elon Musk dans chacun de ses projets. J’ai volontairement ôté dans les principes énoncés tout élément spécifique aux domaines aéronautiques, automobiles, des transports et de l’énergie chers à Elon Musk, avec SpaceX, Tesla, Hyperloop, SolarCity, afin de les rendre le plus universel possible et à même de s’appliquer à de nombreux secteurs, si tant que cela soit possible ou souhaitable. Je les utilise uniquement pour illustrer chacun des points. Je le vois plutôt comme une source de réflexion et un guide permettant de redéfinir l’approche d’un sujet d’innovation ou de rupture.

Les 12 principes de la méthode Elon Musk

– Une stratégie de montée en puissance définie dès le début du projet. Le court terme est banni au profit du long terme.
– Une logique commerciale inversée. Un produit initial de rupture symboliquement fort dans un marché de niche afin de marquer les esprits et asseoir la notoriété, puis des produits de masse pour s’imposer sur des marchés importants en améliorant les innovations du produit de rupture originel tout en réduisant son coût. Qui peut le plus peut le moins. A titre d’exemples, le Roadster de luxe Tesla a favorisé le lancement du modèle 3 au prix d’une berline standard, tout comme la fusée Falcon 1 a permis l’ouverture du marché mondial à la Falcon 9.
– Une intégration verticale maximale de la R&D à la conception et la production pour réduire les coûts, maîtriser les risques et minimiser la dépendance à des fournisseurs tiers.
– Des cycles le plus court possible entre l’idée innovante, son prototypage, et le test afin de dépasser le moins possible des délais irréalistes. Au risque d’annoncer des délais irréalistes et de sous-estimer les difficultés inhérentes à tout projet complexe de rupture dans un marché. Cette méthode s’applique jusqu’à la gestion en temps réel des données et la capacité à gérer des dysfonctionnements en un temps record.
– Le recours à des technologies grand public disponibles aisémentpour réduire encore plus les coûts et compresser les délais. Une technologie innovante est rare, chère et longue à concevoir mais plus performante que celles disponibles pour le grand public. Tout l’enjeu repose donc sur leur optimisation, et donc le point suivant.
– Une stratégie d’optimisation des technologies et de tout élément relatif au projet (process, workflow, fabrication, pilotage) au-delà des standards.
– La responsabilisation et l’autonomisation des collaborateurs, fruit d’un recrutement sélectif, permet de s’adapter plus rapidement et de gagner en réactivité.
– Une analyse très fine des limites des acteurs en place, de leur méconnaissance du digital, et de leur capacité à se transformer et revoir leur modèle économique.
– Une implication forte à chaque étape d’un projet, à commencer par la pleine compréhension théorique et technique du sujet.
– Une implication qui peut aller jusqu’au management direct avec le moins de hiérarchie possible lorsque cela permet de gagner en efficacité. Elon Musk est ainsi allé jusqu’à envoyer en mai 2010 un e-mail sur l’abus des sigles au sein de la communication de SpaceX : “Pris isolément, quelques acronymes ici ou là peuvent sembler inoffensifs, mais si mille personnes se mettent à en inventer, nous devrons à la longue constituer un énorme glossaire pour les nouveaux salariés. (…) Le critère, pour un sigle, est de se demander s’il facilite ou complique la communication.
– Une capacité à prendre des décisions rapides, sans jamais perdre de vue l’objectif à long terme, et ce malgré l’urgence et l’enjeu à court terme de certaines d’entre elles.
– Et une bonne dose de “champ de distorsion de la réalité”, propre à SteveJobs, nécessaire à la fois pour rendre l’impossible concevable, supporter la pression, miser toute sa fortune, et amener les collaborateurs à accepter l’inacceptable.

La théorie du champ unifié d’Elon Musk

Il est important de comprendre une chose essentielle lorsqu’on se penche sur la personnalité d’Elon Musk : toutes ses initiatives représentent moins des opportunités commerciales qu’une vision du monde.

Tout comme Steve Jobs, auquel on le compare souvent, à tort ou à raison, Elon Musk veut plier le monde à sa propre perception et l’emmener là où il le souhaite. Mais il n’est pas un marchand de rêve utopique ou distopique, il est d’abord et avant tout rationnel dans ses choix comme dans ses rêves. Il a donc conçu un écosystème entreprenarial interconnecté à court et long termes que l’on regroupe sous l’idée de “théorie du champ unifié” où chaque élément contribue à la prise de valeur de l’autre et de l’ensemble. Pour citer l’auteur de la biographie d’Elon Musk, Ashlee Vance :

Tesla fabrique des batteries que SolarCity peut vendre à ses clients. SolarCity fournit les panneaux solaires des stations de recharge où les conducteurs de Tesla peuvent s’approvisionner gratuitement. […] Tesla et SpaceX s’aident aussi mutuellement. Ils échangent des connaissances sur les matériaux, les techniques de fabrication et les arcanes du fonctionnement d’usines construites à partir de zéro. […] La Gigafactory devrait lui permettre de satisfaire la demande de batteries due à ses automobiles et aux unités de stockage vendues par SolarCity.

C’est là un point capital, une approche systémique permettant de :

  • mutualiser les ressources,
  • réduire les délais,
  • optimiser les coûts,
  • rentabiliser les technologies mises au point d’une entreprise à l’autre,
  • améliorer sans cesse les produits tout en réduisant leur coût
  • gagner des parts de marché grâce à des innovations rapides et meilleures marché que les concurrents
  • fidéliser en améliorant sans cesse la qualité du produit (la proposition de valeur) sans faire payer le client.

En résumé, Elon Musk crée la demande par des innovations de rupture, fixe lui-même les nouvelles règles du jeu pour asseoir un nouveau standard industriel, et son agilité lui permet de contourner les règlementations qui deviennent pour des concurrents des freins plus que des avantages.


Cet article fut initialement publié sur mon blog www.nicolasbariteau.com