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Quatre erreurs à ne pas faire lorsqu’on parle de disruption

Quatre erreurs à ne pas faire lorsqu’on parle de disruption

Le digital crée forcément une rupture dans votre industrie ou dans votre secteur, et vous n’y échapperez pas, si l’on en croit les titres des articles de journaux et magazines professionnels. Sur le fond je suis d’accord, mais la réalité est moins tranchée que cela. Il serait bien entendu assez naïf de penser que rien n’a besoin d’évoluer ou que rien ne changera dans votre activité. La majorité des prédictions sur la manière dont cela se passera, les déclarations des gourous et autres consultants experts autoproclamés, ont bien souvent été trop prises au pied de la lettre et pas suffisamment nuancées. Je vous propose donc de remettre en perspective quatre grands principes de disruption afin de ne pas commettre d’erreurs stratégiques qui vous seraient préjudiciables.

Confondre vitesse et précipitation.

Une des caractéristiques de l’ère digitale est la vitesse du changement. Et parce que le monde change vite, les entreprises devraient aussi s’adapter rapidement. Attention aux apparences trompeuses.
L’idée que le monde change plus vite qu’auparavant est en fait erronée, ce que tendent à montrer de nombreuses recherches. Même si votre secteur supporte des changements rapides, cela ne signifie pas pour autant que votre entreprise doit elle aussi évoluer rapidement. Il est même recommandé d’attendre. Si vous êtes dans un secteur qui évolue rapidement et que vous souhaitez également évoluer rapidement vous risquez de commettre de nombreuses erreurs, faute d’avoir pris suffisamment de recul. Les GAFAM peuvent se permettre de prendre des risques avec leurs moyens démesurés, comme Google avec ses Google Glass arrivées trop tôt ou Amazon avec son smartphone Fire, mais certainement pas vous.
Il est bien souvent préférable de se donner le temps de comprendre le changement. Si l’environnement de votre entreprise évolue rapidement sous l’effet de nouvelles technologies, il est préférable de ralentir plutôt que d’accélérer. Compte tenu des incertitudes autour des évolutions  numériques, vous devez être en mesure de différencier les tendances des mouvements de fonds. Cela peut sembler paradoxal mais dans un environnement qui évolue rapidement, il est urgent d’attendre.

Vouloir être le premier à adopter une stratégie de rupture dans son secteur.

L’erreur la plus fréquente consiste à penser que dans le monde digital le premier arrivé emporte tout. De nombreux business model liés aux technologies digitales reposent sur ce que l’on appelle l’effet de réseau. Avec l’effet de réseau, selon lequel le pouvoir d’attraction ou la valeur grandit avec le nombre d’utilisateurs, l’acteur ayant le réseau le plus important s’impose à ses concurrents. Autrement dit, plus vous aurez d’utilisateurs et de clients, plus votre modèle économique sera censé être efficace. Par exemple, les gens s’inscrivent sur Facebook parce que la plupart de leurs amis et membres de leurs familles s’y trouvent, ce qui en retour permet à Facebook de collecter de très nombreuses données sur eux et d’attirer les annonceurs et publicitaires qui veulent les toucher. Il n’y a qu’à voir l’ampleur de Facebook face à ses rivaux MySpace puis Google+. C’est la raison pour laquelle des entreprises comme Uber veulent grossir rapidement, et aussi pourquoi leurs investisseurs ne s’inquiètent pas lorsqu’ils perdent beaucoup d’argent le temps d’atteindre une taille critique. Il faut dire qu’ils perdent parfois énormément à ce jeu là : les pertes de Uber s’élevaient à plus de 1,27 milliards de dollars rien qu’au premier semestre 2016.
Cet effet fonctionne parfois mais ce n’est pas une constante car les réseaux sont rarement exclusifs. Si vous voyagez à Singapour, par exemple, vous comprendrez pourquoi. Chaque chauffeur de taxi utilise au moins deux téléphones mobiles de manière à répondre aux commandes provenant de polisseurs plate-formes de réservation. Ces chauffeurs de taxis sont constamment au cœur d’une compétition entre réseaux, et la majorité d’entre eux ont au moins deux applications sur leurs smartphones. Quand on les contacte pour une course ils regardent rapidement chaque application, et choisissent la course qui sera la plus intéressante en terme de rapidité et de rémunération.
C’est une erreur de penser que l’effet de réseau aboutit inévitablement à un leader qui emporte tout le marché. Parfois cela est vrai, mais il y a aussi de nombreux marchés qui supportent plusieurs acteurs concurrents.

Penser que le digital crée des ruptures de substitution.

Une troisième erreur concernant la disruption digitale est de penser que les nouvelles technologies vont inévitablement se substituer aux anciennes, les rendant obsolètes. Certes, les e-mails ont remplacé le fax, la mémoire flash a remplacé les disquettes, et Wikipédia a remplacé l’Encyclopaedia Britannica. Cependant les secteurs dans lesquels on retrouve cette substitution sont des exceptions à la règle. Dans la majorité des cas le digital constitue un complément plus qu’un substitut. Cela crée une dynamique complètement différente au sein des marchés. Prenez une de mes activités, l’enseignement et la formation. Lorsque j’interviens en tant qu’enseignant et formateur, j’entends dire que l’e-learning a rendu le présentiel obsolète, que les centres de formation, les universités et les écoles seront remplacés par des universités en ligne, et que les MOOC seront bientôt la norme. Ce n’est pas ce que l’on constate : l’enseignant et le formateur se transforment en  tuteur et l’apprentissage en ligne intervient en amont ou en aval du présentiel pour s’assurer que tous les apprenants bénéficieront d’un même socle de connaissance préalable et pourront approfondir ou évaluer leurs compétences acquises.
Dans la majorité des marchés le digital ajoute une nouvelle valeur, comme un gain de rapidité, ou remplace un ancien élément mais rarement les deux. L’e-commerce ne remplace pas le commerce physique, en revanche il conduit à le repositionner en terme d’offre et d’usage. La raison principale de ce phénomène vient du fait que les modèles économiques et la création d’avantages compétitifs sont des systèmes complexes. Ils sont composés de nombreux éléments, certains tangibles, d’autres intangibles, qui interagissent les uns avec les autres, dans une interdépendance difficile à reproduire. Par conséquent, il est stratégiquement plus efficace de chercher à identifier des complémentarités plutôt que de vouloir remplacer totalement existant.

Réduire la disruption à une logique de plate-forme

Une quatrième erreur, fréquente, consiste à penser que la disruption digitale fait disparaître les frontières, géographiques ou sectorielles. Maintenant que nous pouvons communiquer instantanément avec n’importe qui n’importe où dans le monde, nous pouvons nous affranchir des frontières. Le digital modifie nos conceptions de l’espace et des distances, mais il ne les abolit pas pour autant. Internet est en soi un espace où tous les internautes peuvent échanger des informations mais la structure même d’Internet est liée aux états qui définissent ces échanges d’un continent à l’autre et entre les pays. Les barrières à la communication s’effacent mais les frontières étatiques demeurent comme la Chine et la Russie nous le rappellent bien souvent. La disruption se nourrit de l’idée de la mise en relation sans limites grâce à Internet et s’exprime à travers celle des plate-formes et polices de marché comme iTunes, YouTube, Amazon, etc.
Prenons l’exemple de l’industrie du conseil, autre pendant de mon activité. Elle est restée stable pendant des décennies. Les plus grands groupes de conseils ont plus ou moins fait la même chose année après année : mettre des consultants spécialisés à la disposition de leurs clients dans un cadre bien établi.
Cependant, récemment, de nouvelles sociétés de conseil se sont créées autour de l’idée qu’il y a certainement d’autres manières et peut-être plus efficaces de faire se rencontrer entreprises et consultants en sortant de ces frontières de marché. Certains ont créé des plates-formes digitales où l’offre, les consultants, et la demande, les entreprises, se rencontrent via des systèmes de recherche dans une base de données de ressources. D’autres ont créé des bases de données de consultants free-lance permettant aux entreprises de trouver l’expert correspondant le mieux à leurs besoins. Mais ces nouveaux acteurs ont sous-estimé l’importance des interactions humaines. Dans le monde du conseil, il est extrêmement important d’être capable de lire et de décrypter les émotions, les intentions et la personnalité de chaque interlocuteur. Le facteur humain est tout aussi important que l’expertise du consultant, comme dans la transformation digitale des entreprises, où 80% des enjeux sont portés par l’humain, et seulement 20% par la technologie.

Disruption digitale : de l’avantage compétitif à l’avantage adaptatif

Le digital change la nature de la concurrence des avantages compétitifs dans de nombreux secteurs comme tous les changements technologiques majeurs auparavant. Cependant ce changement ne sera pas uniforme. Les technologies numériques affectent aujourd’hui et affecterons dans le futur de différentes manières chaque secteur et chaque activité. Il est capital de saisir ces nuances afin de prendre de bonnes décisions stratégiques qui réduiront la complexité plutôt que de l’augmenter faute de discernement en voulant brûler les étapes. L’avantage n’est désormais plus seulement compétitif mais aussi adaptatif. La capacité à s’adapter aux changements nombreux qui se succèdent, parfois à une vitesse effrénée, prend le pas dans bien des cas sur la compétitivité.
Comment éviter le dilemme de l’innovation ?

Comment éviter le dilemme de l’innovation ?

Vous connaissez l’effet Kodak ? Ce cas est devenu l’emblème des entreprises que la révolution numérique a fait chuter de leur piédestal faute de s’être adaptées, victimes du dilemme de l’innovateur. Les entreprises qui réussissent seraient celles qui se préparent au changement et non celles qui s’adaptent. Pourquoi ? Parce qu’en 1960, Théodore Levitt publia un article devenu aujourd’hui un classique dans la Harvard Business Review par lequel les dirigeants étaient sommés de s’adapter afin de maintenir la croissance de leur entreprise. Sans adaptation, point de salut. Sans capacité à comprendre l’évolution du marché réel dans lequel l’entreprise évolue, le naufrage serait proche, la chute inévitable. La preuve ? Kodak serait mort faute de s’être s’adapté. La réalité semble pourtant beaucoup moins évidente. Je vous propose donc de partager avec vous les 3 éléments clefs d’une entreprise performante.

Une entreprise qui se prépare n’est pas forcément apte à réussir.

Revenons à Kodak. L’entreprise serait-elle morte faute d’avoir vu venir la photo numérique, de s’être préparée à une rupture technologique sur le marché de la photo ? Non, puisqu’en 1975, elle inventa dans ses laboratoires cette même technologie, et déposa en 1978 le premier brevet d’appareil photo numérique avec capteur CCD. Pourtant ce furent les marques asiatiques, Canon et Nikon en tête, et allemandes, Leica et Zeiss, qui lui damnèrent le pion et se partagèrent le gâteau. Pourquoi un tel succès ? Leurs coeurs d’activités étaient différents de celui de Kodak, la pétrochimie, et plus apte à prendre le tournant numérique. Canon avait développé une forte activité sur le marché des photocopieurs et imprimantes, et s’était fortement diversifié, contrairement à Kodak. Nikon, tout comme Leica et Zeiss, sont depuis toujours spécialisés dans l’optique, autre élément essentiel de la photo numérique. Il fut dès lors très facile pour ces deux derniers de nouer des partenariats avec les nouveaux champions de la photo, tels Panasonic ou Sony. Kodak a donc déposé le bilan en 2012 non pas faute de ne pas s’être préparée avec sa R&D, mais faute de s’être adaptée, et ce malgré le rachat de nombreuses start-up surpayées qu’elle n’arrivait pas à intégrer. Aujourd’hui, la croissance phénoménale d’une entreprise comme Facebook repose sur sa capacité à se préparer et à s’adapter par le clonage d’un service concurrent prometteur ou son rachat. Lorsqu’Apple commercialise son iPod en 2001, le marché des lecteurs MP3 est déjà saturé d’offres. L’innovation de la pomme n’est pas celle d’une rupture mais celle d’une amélioration technologique (la capacité du mini disque dur nouvellement créé par Toshiba) et d’usage (l’ergonomie du produit) grâce à une bonne préparation et une adaptation au marché de l’écoute de musique mobile née du Walkman de Sony. Le succès financier d’Apple viendra surtout du business model créé autour du produit avec le lancement d’iTunes dont ne voulait même pas Steve Jobs !

Une entreprise qui réussit est une entreprise prête à modifier son business model.

Comment expliquer alors l’échec de temps d’entreprises qui se préparaient à des évolutions de marché ? Le dilemme de l’innovation. Ce concept, énoncé par le chercheur Clayton Christensen, explique l’échec d’une innovation de rupture par une absence de modèle économique ou un business model au moins inadapté. Kodak, pour continuer notre étude de cas, n’a pas voulu promouvoir son innovation pour ne pas remettre en cause son business model dominant centré sur la vente de films argentiques et son coeur de métier issu de la pétrochimie. Pour preuve, sa tentative avortée de proposer à la place des « pellicules » numériques, l’APS. Changeons le produit, pas le business ! Vouloir faire entrer une innovation dans le modèle d’une activité traditionnelle est une erreur classique qui ne conduit qu’à l’étouffement de la croissance. On appelle cela le « cramming » ou bourrage. Cela ne vous rappelle rien ? Les médias traditionnels, et particulièrement la presse, sont aujourd’hui victimes de ce bourrage, en voulant dupliquer le modèle publicitaire du papier vers Internet. Un business model n’est pas qu’une question d’argent, c’est d’abord et surtout la capacité à rendre une offre attractive en l’adaptant au client.

Une entreprise se définit par sa capacité à résoudre une problématique client.

Lorsqu’une entreprise veut s’adapter aux évolutions de son marché, elle est contrainte par un facteur déterminant, le temps. Dit autrement, sa capacité à agir vite, sachant que le nouvel entrant aura la prime du premier arrivé, à condition que le marché soit mature, et les usages des clients à minima en train d’éclore. L’innovation est une question de timing, elle ne doit arriver ni trop tôt, vous recevrez de nombreux témoignages d’estime mais pas de chiffre d’affaire, ni trop tard, vous serez alors qualifié de suiveur et n’aurez même pas l’estime. Une entreprise performante ne se définit pas par son marché mais par sa capacité à répondre à une problématique client. Elle doit donc le comprendre le mieux possible, ce que l’on appelle désormais l’approche orientée client, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain mais se prépare longtemps à l’avance afin de construire sa croissance. D’où l’expression « shapping the future ». Plus votre connaissance client sera forte, plus vous pourrez innover ou vous adapter rapidement avec de meilleurs produits. Réagir vite sans préparation permet seulement de sauver les meubles, et toute agile que soit votre entreprise, vous resterez l’outsider. Ce qui n’est pas forcément mauvais en soi si votre business repose sur la croissance à court terme et que vous ne visez pas la première place. Mais cela est problématique si vous cherchez à être le leader de votre marché. Regardez l’échec cuisant de Google face à Facebook avec ses tentatives de concurrence via son réseau social Orkut, puis Google Wave, Google Buzz et enfin Google+. Un échec cuisant. Le secret est finalement assez simple à définir mais souvent difficile à mettre en oeuvre : toujours chercher à avoir une longueur d’avance.