Pourquoi de nombreuses stratégies échouent-elles lors de leur mise en œuvre ? Les choses avaient pourtant bien commencées. Un consultant en stratégie est venu épauler le dirigeant de l’entreprise, un audit a été effectué, des préconisations rendues, un planning stratégique validé. Vint alors le temps de la communication aux employés, celui du changement de leur comportement avenu, les tableaux de bord de pilotage redéfinis, et enfin les budgets votés. Puis, plus rien. Une des raisons principales de ce statu quo réside dans le fait que ces « nouvelles stratégies » ne sont tout simplement pas des stratégies.
Ne confondez pas stratégie, objectifs, et tactique.
Bien souvent, ce que les entreprises appellent « stratégies » ne sont que des objectifs. « Être leader sur le marché », « Devenir mobile first » ou « Mettre en œuvre la transformation digitale de l’entreprise » ne sont que des souhaits que l’organisation veut voir se réaliser, un but à atteindre et un résultat à constater. Mais une stratégie est plus que cela, c’est un ensemble de décisions claires et de choix qui définissent ce que l’entreprise fera et ne fera pas. De nombreuses orientations stratégiques n’échouent donc pas par le risque encouru ou une exécution défaillante, elles échouent faute de vrai projet et de choix clairement définis. Une fois les objectifs identifiés, il reste encore et toujours à concevoir une stratégie.
[eltd_blockquote text= »« Strategy is not a to do list, it drives a to do list. » » title_tag= »h3″ width= » »]
Une stratégie n’est pas une to do list, elle détermine une liste d’actions. Cette expression n’est pas de moi mais de Steve Blank, créateur de la méthode du « Développement par la clientèle » qui a permis à de nombreuses start-up et projets de voir le jour. Il soulève par là une erreur fréquente, la confusion entre stratégie et tactique, entre long terme et court terme. La tactique sert la stratégie par le déploiement d’actions planifiées et de leviers opérationnels, elle doit permettre l’atteinte des objectifs liés à la stratégie. Une fois la stratégie définie, les tactiques peuvent être variables et évoluer en fonction du contexte, de même que les tactiques mises en place et leurs résultats peuvent amener à effectuer un pivot stratégique. Stratégie et tactique constituent la dynamique de l’entreprise et sont amenées à évoluer en fonction du contexte économique, sectoriel, des usages et ruptures technologiques. Elles ne doivent donc pas être perçues comme une fin en soi mais comme autant de moyens de porter la proposition de valeur auprès des clients en ne perdant jamais de vu leurs besoins et problématiques.
Développez votre avantage adaptatif pour soutenir la stratégie.
Vous devez donner un avantage adaptatif à votre entreprise, autrement dit, développer sa capacité de résilience, de réactivité et d’adaptation au évolutions et bouleversement mondiaux, qu’ils soient économiques, financiers, sociétaux, juridiques, technologiques, etc. Les entreprises ne peuvent plus désormais jouir d’un avantage compétitif durable dans un monde en mutation permanente, elles doivent développer un avantage adaptatif. Comme le précise Bertrand Duperrin : « Dans un monde qui change vite, les entreprises se retrouvent empêtrées dans leurs stratégies. Un plan stratégique succède à un autre qu’on n’a même pas mené à son terme car le contexte ayant changé entre temps il n’est plus d’actualité. Le tout avec deux impacts majeurs, aussi négatifs l’un que l’autre : à force d’être toujours au milieu du gué l’entreprise n’est jamais sur aucune des deux rives et les collaborateurs finissent par être perdus et démotivés devant cet enchainement de virages et l’impression que rien n’est jamais mené à terme. »
Afin de mettre fin à ce cercle vicieux, il faut :
– fixer des axes stratégiques et des objectifs clairs compréhensibles et partagés par tous, applicables opérationnellement et associés à des mesures de pilotage de la performance permettant de s’adapter à la nouvelle donne plutôt que de la subir.
– mettre en place un modèle stratégique que l’entreprise puisse adapter à chaque situation.
– développer un corpus de pratiques et de principes appliqués au quotidien qui imprègnent l’ADN de l’entreprise.
Fixez des axes stratégiques clairs auxquels les employés peuvent adhérer.
Afin qu’une stratégie soit viable, l’ensemble des éléments qui la constituent doivent être alignés pour représenter un projet homogène. Les choix ou axes, les priorités et les objectifs doivent être cohérents pour former une stratégie, ils doivent fixer un cap clair, une direction vers laquelle tendre. Et la communication de ces choix auprès des employés est toute aussi capitale que leur définition. Faites attention cependant à limiter le nombre de ces choix, sans quoi toute communication sera rendue plus difficile, et les actions compromises faute de clarté et de capacité des employés à adopter un nouveau comportement. La clarté de la stratégie favorise l’adhésion, elle est un ciment sur lequel chacun peut s’appuyer pour bâtir le nouveau projet. Plus la réorientation stratégique, le pivot, sera partagé, plus elle aura de chances d’aboutir. Sans cela, tout processus d’implémentation est voué à échouer.
Créez un modèle stratégique qui repose sur la responsabilisation, la coopération et la collaboration dans un contexte de travail défini.
L’approche traditionnelle qui consiste à mettre en place un processus descendant de décision, « nous avons défini la stratégie, vous l’implémentez », ne fonctionne pas. L’élaboration d’un système de gouvernance et de prise de décision doit être envisagé si nécessaire afin que la vision stratégique de la direction soit le plus en phase possible avec la vision opérationnelle des managers et la réalité quotidienne des salariés. Une implémentation stratégique est un processus bilatéral, un projet commun qui associe une direction stratégique descendante (il faut bien que quelqu’un tranche) avec un processus de co-construction opérationnelle qui laisse aux managers et à leurs équipes la capacité de mettre en œuvre, tester, piloter et évaluer les actions répondant aux orientations stratégiques.
Le rôle du top management est de mettre en place un système interne de pilotage de l’implémentation stratégique. Il doit veiller à ce que la stratégie ne soit pas phagocytée par une trop grande attention au court terme et à la résolution rapide des problèmes rencontrés. Il doit autant que possible permettre à chaque département d’être le plus autonome possible dans le choix des moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs tout en restant garant de la cohérence d’ensemble. Il doit donc renforcer le degré d’autonomie des managers et des équipes dans le contrôle et l’organisation de leur travail en les responsabilisant, et leur permettre d’opérer des changements continus et évolutifs pour mieux s’adapter (méthode Kanban).
Le rôle du manager est de piloter l’implémentation opérationnelle de la stratégie. Il doit rester maître de l’agenda et des priorités en s’assurant du respect des jalons et des objectifs fixés pour ses équipes. Il doit favoriser l’émergence d’idées, le partage de bonnes pratiques, la recherche de solutions, et la remontée des idées vers le top management.
Le rôle des équipes est de mettre en oeuvre les actions attendues, identifier les dysfonctionnements, mais aussi de proposer des améliorations, des solutions, des innovations et de les faire remonter dans un mouvement ascendant, « bottom-up », vers la direction. Elles ne doivent pas être filtrées par leur manager, mais étudiées collégialement et évaluées au vue de la stratégie au plus près de la direction.
Levez les freins qui empêchent la nouvelle stratégie d’être implémentée.
Ce nouveau modèle stratégique conduit à redéfinir le contexte de travail, c’est-à-dire à comprendre ce que font vraiment les équipes, sans se limiter à l’organigramme ni aux fiches de postes pour faciliter la collaboration et la coopération. Dans la majorité des organisations, les gens ne savent pas ce que font précisément leurs collègues, et les comportements ou décisions des uns et des autres deviennent incompréhensibles, quant ils ne créent pas tout simplement des conflits. Comment voulez-vous qu’ils collaborent ou coopèrent ? Aussi irrationnels que puissent paraitre les comportements au travail, ils correspondent à une réelle rationalité de la part des collaborateurs et rarement à une volonté de nuire. Ils font ce qui est le mieux pour eux, pour atteindre leurs objectifs en fonction de leurs enjeux personnels, leurs ressources (expérience, formation, budget, outils, etc) et leurs contraintes. Les objectifs qu’ils essaient d’atteindre ne sont pas nécessairement ceux qu’on leur a assigné faute d’un contexte favorable (problème managérial, manque d’outils performants, budgets insuffisants…). Quelles sont leurs ressources ? Quelles sont leurs contraintes ? Il faut comprendre la manière d’agir de chacun pour identifier les dysfonctionnements et les coups d’ajustement que certaines directions ou personnes font peser sur les autres. Si en plus de cela, l’entreprise fixe des objectifs antagonistes ou contradictoires faute d’une stratégie claire, faut-il s’étonner qu’elle éprouve des difficultés à s’adapter et motiver l’ensemble des employés ?
En contexte de transformation digitale, il f audra non seulement évaluer ce contexte de travail pour modifier certaines (mauvaises) habitudes, mais aussi redéfinir la structure organisationnelle pour simplifier et accélérer la prise de décision.
Ces freins ne sont pas seulement managériaux et organisationnels, ils sont aussi individuels, et bien souvent liés au numérique. Il faut permettre à chaque collaborateur de développer une maturité numérique lui donnant la capacité de comprendre et mettre en oeuvre la nouvelle stratégie qui s’appuie généralement sur le digital omniprésent aujourd’hui. Les ressources humaines et la communication interne jouent un rôle fondamental en mettant en place une politique de sensibilisation, de formation et d’apprentissage permanent, mais aussi en déployant des outils numériques qui facilitent les processus collaboratifs (RSE, suite collaborative comme Office 365 de Microsoft, outils de gestion de projet, etc.). Ces deux acteurs doivent mettre en place des indicateurs pertinents de mesure du changement (sociaux, environnementaux, etc.) sans se focaliser sur l’indicateur financier, dans une logique de progrès continu et évolutif au sein d’un contexte de travail défini, pour évaluer leurs actions.
Développez un corpus de pratiques et de principes appliqués au quotidien qui imprègnent l’ADN de l’entreprise
Plutôt que de déployer des processus rigides et spécifiques à appliquer tels quels qui ajoutent à la complication de l’entreprise, il est préférable de définir et intégrer un corpus de pratiques et de principes, de valeurs non négociables qui s’imposent à tous et constituent le cœur de la culture de l’entreprise, notamment :
– la collaboration et la coopération sont placées au cœur du modèle organisationnel et managérial,
– l’adoption d’une boucle de feed-back systémique, telle qu’on peut la voir dans le lean management, avec un processus itératif d’actions, d’analyse, et de recherche de solutions, permet de développer un apprentissage qui confère un avantage opérationnel face aux concurrents,
– l’apprentissage permanent des collaborateurs, par la formation comme par le retour d’expérience facilité par le lean management, permet à l’entreprise de gagner en réactivité et de s’adapter plus rapidement que ses concurrents. Grâce à cette dynamique de formation et de recherche de solution systématique, les collaborateurs deviennent aussi acteurs et non plus spectateurs de la nouvelle stratégie. Vous renforcez par ce biais leur adhésion et leur implication.
En conclusion
Il y a différentes façon de faire les choses, et de multiples solutions à adopter. Chaque alternative a ses avantages et ses inconvénients, qu’il s’agisse de la structure organisationnelle, du management, de l’allocation des ressources, des méthodes et procédures de pilotage de la performance, etc. Cependant, lorsqu’il s’agit de définition et d’implémentation stratégique, une seule règle s’impose : maîtriser les fondamentaux et développer les capacités de résilience et d’adaptation de l’organisation. Deux critères malheureusement insuffisamment maîtrisés par les entreprises qui complexifie aujourd’hui leur transformation numérique.