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Pourquoi les dirigeants ont-ils tant de mal à donner un cap clair lorsque vient le temps des changements stratégiques ? Les dirigeants jouent pourtant un rôle essentiel pour rassurer leurs collaborateurs face aux bouleversements et leur donner du sens, voire les justifier. C’est l’essence même du leadership. Après plusieurs années d’accompagnement des entreprises dans leur digitalisation, j’ai pu constater l’importance de trois signaux clefs qui conduisent soit à une plus grande clarté, lorsqu’ils sont respectés, soit à la confusion et au doute sur la nécessité du changement ou la méthode employée dans le cas contraire, ce qui provoque une crise de leadership.

Signal n°1 : Expliquer à vos collaborateurs ce qui doit être fait et pourquoi plutôt que ce que vous voulez.

De trop nombreux professionnels regrettent l’absence de clarté de leurs dirigeants lors de changements stratégiques majeurs. Vous pourriez penser qu’il est simple de définir avec clarté les objectifs et les nécessités de la transformation, pourtant les faits apportent bien souvent la preuve du contraire.
De nombreux dirigeants réduisent leur leadership à l’expression de leur volonté plutôt qu’à l’explication des chantiers à ouvrir et à celle des finalités. Un dirigeant doit avant tout se demander ce qui est bon pour l’entreprise et ce qui doit être fait, quels sont les objectifs, avant de dire ce qu’il veut. Ils négligent bien souvent d’expliquer l’ampleur du changement demandé et préfèrent axer leurs discours sur les processus. Pour inciter les collaborateurs à l’action il faut se concentrer sur le pourquoi comme Simon Sinek l’explique dans son livre « Commencer par le pourquoi. Comment les grands leaders nous inspirent à passer à l’action ». Diriger consiste à avoir constamment le « pourquoi » à l’esprit et à le partager avec ceux qui seront chargés de le mettre en œuvre afin de limiter les risques d’un non alignement entre la stratégie et l’opérationnel.

Pourquoi ce signal est-il souvent trop faible ?

Bien souvent, une culture d’entreprise et un management trop vertical conduisent de nombreux managers à donner la priorité à la satisfaction de la volonté du dirigeant. Volonté qui doit se traduire en un plan d’action rapide, plutôt que de prendre en compte l’ampleur du sujet dans sa complexité avant de planifier quoi que ce soit, ce qui s’avère plus long.
Bien souvent, comme le souligne Elsbeth Johnson, Professeur adjoint du département Organisational Behavior à la London Business School, dans la Harvard Business Review en janvier 2017, quatre questions essentielles sont souvent survolées malgré leur importance :
1. Est-il indispensable de changer, et pourquoi maintenant ? Quels impératifs conduisent à une telle décision ? Pourquoi l’ancienne stratégie n’est-elle plus valable ? À quoi faudra-t-il renoncer ?
2. Quelle est l’ampleur du changement nécessaire ? Il est primordial de ne pas la sous-estimer car cela reviendrait à le réduire à une évolution incrémentale et à en minimiser la portée, ce qui pourrait nuire à la mobilisation des ressources et à le reléguer à un sujet non prioritaire.
3. Comment pourrons-nous évaluer l’atteinte des objectifs fixés ?
4. Quels sont les liens unissant la nouvelle stratégie et les précédentes ? Répondre à cette question, c’est s’assurer de limiter la confusion ou l’incompréhension que des revirements stratégiques trop nombreux ont pu causer par le passé et causeront à nouveau. Un dirigeant qui ne serait pas capable d’expliquer clairement ces liens ténus doit réenvisager leur nécessité (questions 1 à 3) ou réenvisager la nouvelle stratégie.

Si vous êtes capable de répondre à ces quatre questions, ce premier signal passe au vert et place votre nouvelle stratégie sur les bons rails.

Signal n°2 : Incarner le changement que vous défendez.

Incarner ce changement ne consiste pas à attendre de vos collaborateurs qu’ils se plient à votre volonté et qu’ils le mettent en œuvre. Il s’agit avant tout de se rendre disponible et d’être capable de prendre des décisions permettant au changement de se faire. De nombreux dirigeants, tout aussi convaincus soient-ils de la nouvelle stratégie, confient le projet de transformation à un tiers de confiance. C’est là une erreur, car le signal que le dirigeant envoie est celui d’un projet mineur, puisqu’il ne requiert pas toute son attention et son énergie, et il en sera de même pour ceux qui doivent le mener à bien. Le dirigeant et le comité de direction ou le comité exécutif doivent se réunir régulièrement pour suivre les avancés de la transformation, mais aussi se rendre disponibles pour arbitrer et résoudre les conflits ou bloquages qui ne manqueront pas de se poser.

Pourquoi ce signal est-il souvent négligé ?

Deux raisons essentiellement :
1. Les dirigeants doivent changer leurs priorités et rompre avec leur organisation habituelle. Ils doivent être plus réactif et plus opérationnel sans perdre de vue la globalité du projet et garder le cap stratégique fixé clairement aux yeux de tous au sein de l’entreprise (signal n°1). Chaque décision liée à la conduite du changement envers une personne ou un département jusque là préservé peut venir rompre les équilibres internes à l’organisation et remettre en cause son fonctionnement. Un leadership non assumé ou trop flou à ce moment là peut s’avérer désastreux.
2. Incarner le changement est un travail à plein temps qui ne s’accommode pas d’une posture artificielle, très facile à détecter au moment même où les regards de toute l’entreprise sont braqués sur le dirigeant et scrutent le moindre doute ou l’incapacité à prendre une décision en phase avec la stratégie énoncée. Tout pivot ou réorientation stratégique, ce qui est toujours possible et relativement fréquent, doit pouvoir être défendu et énoncé clairement sans que cela puisse être interprété comme une erreur de vision ou un défaut de pilotage du projet.

Signal n°3 : Consacrer des ressources suffisantes et adaptées à la transformation digitale dans toutes ses dimensions, et mesurer l’atteinte des objectifs fixés.

Afin d’envoyer un signal fort et clair du changement à venir, les dirigeants doivent allouer les ressources humaines, financières et culturelles suffisantes pour signifier l’ampleur de la transformation. Ils doivent veiller notamment à ce qu’elle soit menée par les bonnes personnes, avec un niveau de séniorité suffisant et une expérience significative dans leur domaine pour faciliter la conduite du changement. Le management joue lui aussi un rôle déterminant par sa capacité à accompagner les collaborateurs dans une mutation qui n’est pas seulement stratégique ou financière mais surtout humaine et culturelle. Certaines personnes jouent un rôle essentiel : les intégrateurs, autrement dit celles et ceux qui ont, à l’intérieur de l’entreprise, l’intérêt et le pouvoir à mettre en œuvre la transformation digitale. Ils favoriseront notamment la collaboration et la coopération entre les différentes directions et services, ce qui constitue un changement culturel majeur dont il faut évaluer l’impact sur les résultats. Si vous axez trop fortement vos actions sur des critères structurels, réorganisation et process, sans suffisamment prendre en compte la dimension identitaire et culturelle, vous risquez de fortement mettre en péril la réussite de votre nouvelle stratégie.

Cela signifie aussi qu’il ne faut pas s‘appuyer sur les anciennes métriques et indicateurs clefs de performance (KPI’s) mais déterminer celles et ceux qui correspondent aux nouvelles priorités. Les dirigeants doivent donc veiller à définir le plus en amont possible ces nouveaux indicateurs et à s’assurer que toutes les parties prenantes chargées de l’évaluation et la mesure de la performance les utilisent le plus tôt possible.

Pourquoi ce signal est-il souvent insuffisamment défini ?

Soyons clair, ce n’est pas la partie la plus valorisante et la plus inspiratrice pour un dirigeant. Elle le positionne dans un rôle plus opérationnel que stratégique et l’éloigne de la conception d’un leadership fondé sur la vision. La transformation digitale est un sujet de long terme en phase avec l’expression d’une vision que la question de l’allocation des ressources remet en perspective sur le court terme. Les deux peuvent paraître antinomiques à bien des dirigeants qui ont tendance à se désaisir du second au profit du premier. La mesure est le liant, pour reprendre un terme pictural, qui permet de garantir l’intégrité et l’homogénéité du structurel, l’organisation et les process, avec son expression, l’humain et les résultats.

Leadership, l’importance de donner du sens.

Ces signaux doivent guider les dirigeants car ils sont importants pour l’entreprise. Les collaborateurs et parties prenantes de l’entreprise ont besoin de signaux clairs et forts pour les aider à donner du sens à leurs actions. En tant que leader, vous détenez un pouvoir décisif, celui de les guider et les rassurer ou de les laisser en proie au doute ou à une perte de sens au motif qu’ils doivent accomplir votre vision et non la comprendre. Une entreprise évolue forcément pour s’adapter aux évolutions de son écosystème et des problématiques de ses clients, mais comprendre la nécessité d’un changement et l’accepter sont deux choses très différentes. Le seul moyen d’y parvenir est de définir clairement ses finalités et ses modalités pour lui donner du sens.